[interview] Christian Huglo : "Asap est la partie émergée d’une vaste opération de destruction du droit de l’environnement"

[interview] Christian Huglo : "Asap est la partie émergée d’une vaste opération de destruction du droit de l’environnement"

11.11.2020

Environnement

Le projet de loi Asap a définitivement été adopté par le Parlement, mais il est actuellement entre les mains du Conseil constitutionnel, saisi notamment sur les articles qui concernent les ICPE. L'enjeu, pour l'avocat Christian Huglo, est que les Sages se prononcent sur le principe même qui devrait guider le droit de l'environnement : la "non-regression".

 

DRAvocat et docteur en droit, Christian Huglo est associé depuis 1978 avec Corinne Lepage au sein du cabinet Huglo-Lepage avocats. Il est spécialisé dans les procédures contentieuses, notamment dans les affaires internationales de pollution et d’environnement – depuis la marée noire de l’Amoco Cadiz en 1978 jusqu’au recours contre l’État en 2019 de la ville de Grande Synthe pour inaction climatique, dans le cadre de la campagne "l’affaire du siècle".

En mars 2020, aux côtés de 23 experts en droit de l’environnement, il proteste contre le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) alors présenté devant le Sénat. En cause, les articles 21 à 28 du titre III sur les ICPE qui viserait selon lui à "anéantir" le droit de l’environnement.

Validé définitivement par le Parlement les 27 et 28 octobre, le texte est actuellement examiné par le Conseil constitutionnel.

 
Tout d'abord, pourriez-vous résumer votre sentiment général quant au projet de loi Asap ?

Christian Huglo : En construction progressive depuis les années 1970 et 80, le droit de l’environnement s’est solidifié dans les années 2000. Il répond à un double enjeu grave et mondial, celui de la pollution et du réchauffement climatique. En septembre 2020, au début de la dernière assemblée générale de l’ONU, son secrétaire António Guterres a appelé à de vraies mesures de transformation climatique. Car les effets de ces changements se font déjà sentir aujourd’hui ; le virus responsable de la covid-19 dont la mortalité pourrait être accentuée par la pollution de l’air nous en fournit un nouvel exemple.

Or, face à ce problème grave et urgent, la loi Asap participe au contraire au détricotage du droit de l’environnement. Et ce n’est malheureusement pas la première fois que le prétexte de l’efficacité est utilisé. En 2009, un régime intermédiaire d'autorisation simplifiée des ICPE appelé "régime de l'enregistrement" avait été créé au nom de la simplification. Simplification encore évoquée en 2017 pour ramener "au cas par cas" la réalisation de l'étude d’impact.

La dernière illustration en date de ce mouvement de destruction se trouve dans une circulaire d’août 2020, qui donne aux préfets un "droit de dérogation aux normes réglementaires" –  à l’exception du droit européen. Les fonctionnaires pourront, par exemple, atténuer des seuils ou accélérer des procédures. Et ce au mépris de toutes les règles patiemment construites jusqu’aujourd’hui. Le projet de loi Asap n’est donc que la partie émergée d’une vaste opération de destruction du droit de l’environnement.

Quelles sont selon vous les évolutions majeures de ce texte ?

Christian Huglo : Plusieurs articles portent atteinte et réduisent la démocratie environnementale. Ils vont ainsi à l’encontre des principes d’accès à l’information mais aussi de participation du public au processus décisionnel exprimés dans la convention d’Aarhus, approuvée en 2005 par l’Union Européenne.

C’est ainsi que l’article 24 rend facultative la consultation du Coderst (conseil départemental l'environnement et des risques sanitaires et technologiques), privant potentiellement le préfet du précieux avis extérieur d’un collectif de fonctionnaires, d’élus et d’associations. Le 24 bis réduit à deux mois au lieu de quatre le droit d’initiative – permettant à des collectivités territoriales, associations, ou à des citoyens de demander au préfet l’organisation d’une concertation préalable à certains projets.

Mais surtout, l’article 25 donne au préfet la possibilité recourir à une consultation électronique plutôt qu'à une enquête publique, pour les projets soumis à autorisation et ne faisant pas l'objet d'une évaluation environnementale. Il a été adopté en méconnaissance de l’avis du Conseil d’État, et il est d'ailleurs attaqué devant le Conseil constitutionnel – puisque le critère de choix entre consultation électronique et enquête publique reste vague.

 

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Loi Asap : un texte de simplification pour les ICPE, contesté par les environnementalistes

 

Le Conseil constitutionnel a aussi été saisi, d’une part, sur l’article 21 (qui considère comme existantes les ICPE dont la demande d’autorisation a été déposée) et d’autre part, sur l’article 26 (qui permet au préfet d’autoriser l’anticipation de certains travaux de construction). Que pensez-vous de la saisine sur ces deux articles ?

Christian Huglo : Concernant l’article 21, c’est l’obtention d’un "droit acquis" par des projets aux dossiers "complets" – mais peut-être médiocres ou illégaux – qui est attaqué. On retrouve aussi cet esprit du "droit acquis" dans l’article 23, qui prévoit que les études d’impact, une fois validées par l’autorité environnementale, ne puissent plus être réactualisées en fonction de l'évolution de leur dossier. En matière de santé publique, ces deux articles n’ont aucun sens : un avis scientifique ou un diagnostic sont par essence révisables. Si on se rend compte qu’une maladie est associée à telle molécule, il faudra évidemment réviser les études et en réglementer la production et l’utilisation.

L’article 26, qui a aussi été attaqué, procède de cette même logique du fait accompli. D’autant qu’en permettant au préfet d’autoriser l’anticipation de certains travaux de construction, sans attendre la délivrance de l’autorisation, il interdit les recours effectifs. En effet, comment déposer un recours sur une décision administrative qui n’existe pas ? Le principe d’accès à la justice défini par la convention d’Aarhus est ici bafoué.

Quel est donc aujourd’hui selon vous l’enjeu de cette saisine ?

Christian Huglo : Le principe qui guide le droit de l’environnement, c’est-à-dire l’amélioration continue. C’est sur ce sujet, celui de la non-régression, que le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Éva Thiébaud
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